Touchée par mes élèves
En cours d’Histoire, on n’est pas habitués à parler de
sentiments. Et quand j’ai lancé mes élèves sur des récits d’exil, c’était
surtout pour avoir du matériau sur les migrations, pour avoir des récits
familiaux qui rejoignent les moments étudiés en cours de 3e. Mais
voilà, je n’avais pas prévu que ces adolescents de 14-15 ans raconteraient des
histoires si proches et si touchantes.
L’histoire d’O, adoptée à deux ans. C’est sa propre histoire
qu’elle raconte. Récit court et pudique car il y a ce qu’elle ne peut pas
écrire. Et tout ce qu’elle ignore de sa famille biologique. Son frère adoptif
qu’elle aime à la folie. Ce qu’on devine. Ce qu’elle esquisse. Et c’est
charmant.
La fierté de Flavia dont la mère sicilienne est venue à 24
ans, seule, en France, éblouie par Paris, la ville-lumière découverte lors d’un
voyage scolaire. Konrad a découvert que sa mère polonaise est arrivée au même
âge. Il raconte ses débuts dans une petite chambre de bonne. Puis l’arrivée de
son fiancé. Leur réussite. Sa naissance.
L’empathie de Thomiel, Clémence, Tom et Babette qui
racontent l’exil de voisins et d’amis. Cet homme sans-papiers qui a failli se
retrouver à la rue quand le vieux monsieur dont il s’occupait est mort. La
nounou malgache de Babette. Le cousin bosniaque de Tom qui est passé par un
camp.
Certains récits se répondent. L’arrière- grand-père de B. était juif et polonais, exilé en Allemagne
puis en France. Apatride. Poursuivi. Mais qui deviendra un grand peintre. Celui
de Marie, était un soldat allemand qui ne s’est pas toujours senti bien
accueilli en France après la guerre.
L’exil, c’est souvent la guerre d’Algérie, racontée par
Alexis et par Marine. Fuite des pieds-noirs
et des harkis comme la tante de Rayan qui a été plusieurs années en pension
sans pouvoir revoir ses parents. Mais pas seulement. Imane nous a raconté
l’histoire de Mouchou, berger marocain qui a ouvert son propre restaurant à
Paris en 1950. Clara est fière de sa grand-mère qui fut la première du quartier
à passer son permis de conduire.
L’exil, c’est aussi la peur : peur de la dictature de
Salazar pour les grands-parents de Jade ; peur du franquisme pour ceux de
Rayane ; peur de la révolution iranienne pour Zarah ; peur de la
révolution russe dans la famille d’Axelle.
C’est le courage aussi. Le courage de dire non. De refuser
sa condition. De chercher une vie meilleure, avec plus de liberté.
La pudeur du père de C qui ne veut pas lui raconter son
enfance. Celle du père de R qui refuse qu’on publie son histoire. Pour S aussi,
c’est difficile à raconter. Dani préfère raconter l’histoire sidérante de son
oncle moldave qui s’est caché sous un camion pour passer en Europe.
Ces récits d’exil sont également de belles histoires
d’amour : premières rencontres, amour contrarié, fuite vers l’aimé. Amour
des enfants.
Enfin, ce sont leurs photos qui rendent ces histoires encore
plus touchantes et proches. Ce jeune homme en maillot de bain, c’est ton
arrière-grand-père ? Cette jolie femme élégante est ton aïeule ? Ces
enfants insouciants ont connu l’exil ? Ces photos de famille deviennent
celles de notre propre famille. La famille humaine.
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